Où en sont les passeports numériques de luxe ? Le potentiel est là, mais l'exécution est encore loin d'être au rendez-vous

Un peu plus d’un an s’est écoulé depuis que les grandes marques de luxe ont commencé à introduire les Digital Product Passport (DPP) : des identifications numériques accessibles via smartphone, garantissant l’authenticité et la traçabilité des produits. L’idée ne vient pas directement du secteur de la mode, mais constitue une réponse aux prochaines réglementations européennes en matière de durabilité (le Règlement sur l’écoconception des produits durables), qui rendront obligatoire à partir de 2027 le passeport numérique afin de fournir des informations claires sur l’origine et la circularité des biens. L’avantage immédiat est que ces solutions ne se contentent pas de protéger les consommateurs contre la contrefaçon, mais offrent également de nouvelles opportunités pour les marques de renforcer leur relation avec leurs clients. La majorité des marques de luxe ont saisi l’occasion d’adopter les DPP pour lutter une fois pour toutes contre le marché des contrefaçons. Stefano Rosso, ancien PDG du groupe OTB (Maison Margiela, Marni, Diesel, Jil Sander), avait déjà souligné que ces passeports numériques pouvaient constituer une preuve “incontestable” de l’authenticité des produits, renforçant ainsi la confiance des consommateurs. Mais la puissance des DPP ne s’arrête pas là. Selon Rosso, ces passeports numériques ont le potentiel de transformer l’expérience d’achat en une interaction continue avec la marque authentique, grâce à des fonctionnalités telles que le suivi du cycle de vie et l’accès à des services de maintenance, d’assistance et de revente.

Bien que la technologie soit désormais accessible, le véritable enjeu réside dans la généralisation des DPP auprès des consommateurs. L’existence d’un certificat numérique ne suffit pas à elle seule à en encourager l’utilisation. Comme l’explique Business of Fashion, les acheteurs souhaitent certes une garantie d’authenticité et une confirmation des informations sur le produit (telles que les matériaux, l’origine, les méthodes de production), mais recherchent également des contenus utiles, comme des guides d’entretien et de réparation, des extensions de garantie et la possibilité de revendre leur achat à tout moment. Il n’est donc pas surprenant que certaines initiatives, comme celle de Coach avec la collection Coachtopia, misent sur l’intégration avec des plateformes de revente (Poshmark) directement via le DPP. D’un côté, cette stratégie permet à la marque de rester en contact avec l’acheteur tout au long du cycle de vie du produit ; de l’autre, elle offre au consommateur un service concret, simplifiant la revente et enrichissant une expérience d’utilisation qui s’étend bien au-delà du simple acte d’achat. Pour que le passeport numérique devienne un outil réellement recherché, il doit évoluer d’une simple “annexe” technologique vers un véritable hub de services et de contenus, accessible sans nécessité de se rendre en boutique.

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Certains secteurs se prêtent mieux que d’autres à l’adoption de ces solutions. Selon une étude de Vogue Business datant de mai dernier, les consommateurs intéressés par les passeports numériques les attendent surtout dans les catégories à forte valeur perçue : sacs à main, montres et bijoux (avec des taux de préférence avoisinant les 80 %), suivis de la petite maroquinerie et du prêt-à-porter (40 %). En queue de peloton, on retrouve le secteur de la chaussure, avec moins de 30 % des répondants prêts à utiliser les DPP pour ce type de produits. Il est évident que l’idée de “certification” est plus pertinente lorsque le bien est perçu comme un investissement ou un objet iconique, avec un marché de revente particulièrement actif. Concernant les marques spécifiques, les consommateurs se tournent principalement vers les grandes maisons de mode et de luxe. En tête des attentes figure Chanel (46 %), suivie de Gucci, Hermès, Prada, Dior et Louis Vuitton, toutes dépassant les 30 %. Cela reflète le désir des acheteurs de produits haut de gamme de bénéficier d’une garantie supplémentaire de qualité et d’authenticité, notamment pour des articles dont le prix est souvent élevé.

Parmi les plateformes développant des solutions DPP, Eon est l’une des plus actives : sa technologie permet de créer des identifications numériques pour les produits, les reliant de manière permanente à une base de données contenant des informations sur l’ensemble de leur cycle de vie. De cette manière, les marques ne perdent pas la trace des mouvements post-achat et peuvent surtout exploiter chaque changement de propriétaire comme une opportunité de collecte de données et de génération de revenus supplémentaires. L’objectif ambitieux d’Eon est de construire un véritable “écosystème” intégrant non seulement les marques et les consommateurs, mais aussi les revendeurs d’occasion, les plateformes de recyclage et même les environnements Web3, dans une logique d’interopérabilité. Un autre facteur clé dans la diffusion des DPP sera le renforcement progressif des réglementations en matière de durabilité et de transparence. En effet, la technologie d’Eon joue un rôle central dans les ventes du marché de la seconde main, qui est devenu l’un des plus dynamiques du secteur de la mode cette dernière année. Le véritable tournant se produira lorsque les passeports numériques deviendront une composante essentielle de l’expérience d’achat et ne seront plus perçus comme un simple “bonus”, mais comme un élément clé pour comprendre pleinement la valeur du produit. Cela pourrait donner naissance à un nouveau modèle de luxe, plus conscient et plus transparent, où chaque article ne serait pas seulement un symbole de statut social, mais un investissement traçable et un canal de dialogue permanent entre la marque et son public. Après tout, le sentiment dominant dans l’industrie du luxe (actuellement en crise) semble être le désir d’expériences authentiques, capables de créer un véritable lien entre le consommateur, la marque et le processus d’achat.