
Comment les chavs ont changé la mode Burberry, les survêtements adidas, Victoria Beckham et Nike Air Max Tn sont de la partie
Les sous-cultures ont toujours fait partie intégrante du système de la mode. Les grandes marques les reprennent et les retravaillent selon leurs propres codes stylistiques. Mais le phénomène des soi-disant “chavs” a eu un tel impact, tant d'un point de vue esthétique qu'économique, notamment sur une marque historique et élitiste comme Burberry, qu'il représente un cas vraiment unique. La marque anglaise a connu des hauts et des bas au fil des années, et après avoir été la marque la plus désirée et la plus copiée du début du millénaire, paradoxalement elle se retrouve aujourd'hui avec 32 millions d'euros d'invendus.
Qui sont les chavs
Christopher Bailey, nommé directeur artistique de Burberry en 2001, est appelé à relancer la marque. Dans un premier temps, il élimine de toutes les collections le motif à carreaux qui avait toujours distingué les vêtements Burberry, car il était désormais trop lié à l'esthétique chav dont il tente de s'éloigner. Par la suite, il recrute comme visages pour ses campagnes publicitaires Cara Delevigne, Eddie Redmayne et Naomi Campbell, tous représentants d'un anglais plus chic et raffiné, capable de redonner une touche d'élégance. Christopher Bailey parvient à transformer Burberry. Son ouverture sur le monde d'internet, à l'époque encore balbutiant, l'idée du See now buy now, la recherche de nouveaux talents musicaux et surtout la création d'une deuxième ligne, Burberry Prorsum, pleine de pièces qui deviennent de véritables objets culte, sont autant d'éléments qui contribuent à la croissance de la marque. Elle s'éloigne ainsi de plus en plus des chavs et de la classe moyenne anglaise, et redevient l'une des marques les plus appréciées, redécouvertes et surtout vendues. En 2014, Bailey décide qu'après 13 ans, le moment est venu de ramener le motif tartan dans les collections Burberry et il le fait en le rendant à nouveau jeune et désirable. Romeo Beckham, fils du couple désormais le plus fashionista d'Angleterre, est le protagoniste du film de Noël dans lequel il porte une écharpe en cachemire à carreaux, associée à un parapluie du même motif. Le changement a commencé.
Le point culminant de ce processus de remaniement et de réappropriation de ses origines survient de manière assez inattendue dans l'avant-dernière collection de Bailey en tant que directeur artistique. Pour le défilé FW17, le créateur anglais bouleverse complètement le concept chav lié à la marque, célébrant sa culture en ramenant sur les podiums le motif à carreaux tant aimé mais aussi tant décrié. Le motif tartan revient pour couvrir les casquettes, les trenchs, les sacs fourre-tout, les cardigans, les jupes et les gilets, se transformant en un motif sophistiqué, de classe la supérieure. La collection, l'une des plus vendues de tous les temps, boucle en quelque sorte la boucle. Bailey termine sa carrière chez Burberry sur la même touche avec laquelle il avait commencé.
L'esthétique de Gosha Rubchinskiy
La décision de Bailey de se réconcilier avec le passé, en particulier avec une culture initialement considérée comme étrangère au monde de la mode "supérieure", a également un écho important sur d'autres marques et créateurs. Gosha Rubchinskiy a toujours compté parmi ses inspirations non seulement la Russie d’après-guerre froide, mais aussi les cultures et sous-cultures de la jeunesse, les vêtements de sport en général et le mouvement hooligan. Pour la collection SS18, la marque russe a dévoilé sa collaboration avec Burberry. Les créations, qui s'inspirent de l'univers du football, sont une ode à l'esthétique des années 90. Le motif à carreaux est de retour, toujours sur les casquettes, les polos, les chemises et les shorts à imprimé all over, les bombers et les trenchs. Le look chav évolue encore et devient l'objet de désir de toutes les fashion victims les plus hype et tendances. Le passage définitif d'une sous-culture méprisée et moquée au protagoniste incontesté des podiums s'opère grâce à Vetements, qui non seulement décide de revisiter et de réinterpréter l'esthétique chav, mais le fait lors de la Fashion week de la Haute Couture : le chav est officiellement élégant.
Chav en 2018
L'esthétique chav, revue et nettoyée, est désormais définitivement dédouanée. Le mérite revient aussi au grime. Les représentants de ce genre musical anglais à mi-chemin entre rap, hip-hop et drum and bass, en premier lieu Skepta et Stormzy, ont fait du survêtement leur uniforme. Ils l’ont transformé en style plus raffiné, qui très bientôt a également été vu sur les podiums de la moitié du monde. Aujourd'hui, si vous voulez encore parler de style chav, vous devez regarder sur Instagram. Surtout les Anglais ont repris cette esthétique et l'ont rendue contemporaine et hype. L'imprimé tartan a fait un retour en force sur les chemises et pantalons, trenchs et bobs (portés par le représentant le plus illustre et le plus suivi de cette nouvelle vague de mode anglaise, Leo Mandella alias @gullyleo), ainsi que sur les Nike Air Max ressuscitées Tn, qui sont personnalisés avec le motif à carreaux classique de Burberry, ou sur les Air Force avec l'imprimé à carreaux combiné avec un pantalon du même motif.
Le profil Instagram irrévérencieux @freddiemade transforme alors les personnalités les plus importantes d'Angleterre en une sorte de chav memes : David et Victoria Beckham portant des survêtements Kappa, des bombers Burberry et des Nike Air Max Tn, la reine Elizabeth II enveloppée dans un imprimé à carreaux en pur style chav avec un survêtement rouge de Kappa comme Vicky Pollard, Donald et Melania Trump avec des trenchs tartan combinés avec les dernières baskets de Kanye West et Balenciaga. Cette tendance qui a commencé il y a près de vingt ans devient absolument contemporaine, révisée et transformée à travers les moyens de communication de notre époque. En y réfléchissant, il semble incroyable qu'une tendance lancée par de très jeunes garçons anglais ait pu avoir un impact aussi profond et durable. Le monde des médias et de la mode est toujours prompt à saisir les dernières tendances, à les critiquer mais finalement à se les approprier.